Qui fait l’ange finit toujours par faire la bête.

Je ne doute pas un instant de la bonne volonté des élus de l’agglomération annemassienne, et même des socialistes parmi eux. C’est dire. Je ne doute pas de l’excellence de leurs intentions et de la considération de l’intérêt général qui les guide.

Et pourtant je vais critiquer sur un plan fondamental l’orientation qui est prise, et dont on ne mesure pas vraiment aujourd’hui les conséquences. Je souhaite me tromper, mais je crains d’être dans le vrai.

L’atteinte au droit de propriété comme moyen de la politique urbaine.

Une commission de l’agglomération a tout récemment reçu la bonne parole de «spécialistes» sur le sujet de l’accession à des logements abordables. Exactement l’intitulé de l’ordre du jour de cette commission était : «Le dispositif logement abordable». L’excellence des intentions se mesure à la prise en considération d’objectifs qui sont tous louables : «Accueillir et maintenir des familles sur le territoire de l’agglomération en agissant sur la diversité de l’offre de logements, sa qualité et son environnement (formes d’habitat, typologies et de prix) pour mieux satisfaire les ménages familiaux et primo accédants qui quittent l’agglomération». Bigre.

La phrase ne veut rien dire, et se déroule dans la novlangue bureaucratique et politique des spécialistes, marquée par une seule idéologie. On peut la traduire de manière simple : maintenir les classes moyennes dans l’agglomération au lieu de les laisser voter avec leurs pieds. L’idée est qu’elles resteraient s’il y avait des logements abordables. Soit. La difficulté commence sur la méthode pour parvenir à ce résultat du logement abordable.

Un bouc émissaire est marqué au fer rouge, l’hideuse spéculation. Pour produire une offre de logements abordables accessibles à la classe moyenne, on invente aussitôt une nouvelle usine à gaz technocratique. On pose des plafonds de ressources, ainsi que des limites de prix au m2. Puis on ajoute un promoteur semi-public, une société d’hlm qui vient de changer de nom comme la Générale des Eaux qui est devenue Veolia, et qui parle la même langue que les spécialistes.

On pose des règles. Là, le bât commence à blesser. Il s’agit d’élaborer un «dispositif anti-spéculatif». Comment ? En limitant le droit des acquéreurs à revendre leur bien, sauf à observer les conditions qui leur seront prescrites. Plafond de prix, durée minimum de conservation du bien, sauf «accidents de la vie», (sur ce point la communauté bobo a depuis longtemps intégré le divorce dans ses calculs, et elle a raison), et enfin en organisant une préemption punitive au profit de la collectivité. L’acquéreur n’est pas sage, il veut s’affranchir de sa soumission socialiste, pif ! sur le nez. On lui balance une préemption dans les narines. Comment le tout va réellement fonctionner juridiquement n’est pas encore défini puisqu’une concertation serait en cours avec la chambre des notaires, ainsi qu’un cabinet d’avocats spécialisé. (Sans doute parisien ou lyonnais  puisqu’ici il n’y a que des ânes). Soyons patients, les projets vont venir. Et comme les auteurs de la proposition mesurent qu’il pourrait y avoir une difficulté, ils envisagent prudemment une autre solution, celle de l’emphytéose. Joli mot qui signifie qu’on n’achète plus des murs, mais qu’on prend à bail de longue durée le logement. On n’est jamais propriétaire, même si on jouit du bien comme un propriétaire, aux droits limités puisque par exemple il ne pourra pas dans le schéma, détruire, sous-louer au tarif qu’il voudrait, etc. Bref, c’est une location.

En attendant, tout cela appelle une observation.

Au bout du compte il s’agit ni plus ni moins que de porter atteinte au droit de propriété entendu selon le Code civil en son article de principe qui porte le numéro 544 comme un droit absolu :

«La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue. Pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements». Cet article tient depuis 1804, et a une valeur supra légale puisqu’il est protégé par la constitution.

C’est dire que c’est un principe fondamental. Et ce n’est pas un vain principe. C’est une liberté, une liberté publique, parce qu’elle place la propriété à l’abri de l’atteinte étatique. Et c’est cela qui est au cœur de la problématique soulevée par la machine administrative et politique qui avance lentement, par érosions successives, sur le chemin de l’abolition. Une remarque : il n’existe jamais de propriété dans les régimes dictatoriaux, c’est curieux, non ?

Je crois dans l’excellence des intentions des élus de tout bord qui sont hypnotisés par le pertinent discours technocratique qui leur est servi. Et je crois aussi que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Tous, et je m’y inclus, me font penser aux enfants du comte allemand du joueur de flûte qui emmena derrière lui tous les enfants d’Hamelin pour les noyer dans la Weser.