Une réalité propre à la frontière existe, même si aujourd’hui elle s’estompe. Il n’y a pas si longtemps encore, dans les années 80, les cartes françaises proposaient du grisé au-delà du territoire national. Ce qui était une façon de nier toute réalité extérieure. Tout gris. C’est inouï.
On réussissait alors en France ce prodige d’ignorer les nuages au-delà des limites du pays. Jamais ils ne pouvaient venir chez nous. Jusqu’au grotesque. Souvenons-nous de Tchernobyl.
Ce qui est à comparer avec le traitement contemporain du nuage de cendres du volcan islandais. Il y a eu des progrès dans notre représentation du monde.
En ce temps-là les têtes bien faites qui pensaient ainsi étaient aux commandes de l’administration, de la politique, et généralement de toutes les couches de la société. Paradoxe : elles étaient également en faveur de l’Europe, de l’altérité. Et ici, dans la ville d’Annemasse, l’approche du problème transfrontalier des équipes de M Borel, d’alors, était imprégnée de ces idées. On s’en défiait.
Mais l’ordre de la réalité était là, à nos portes. Les frontaliers composaient déjà une part substantielle de la population active. Les fonds frontaliers alimentaient depuis longtemps les budgets communaux. Sans eux la gestion par la majorité de gauche d’Annemasse qui se terminait année après année par des soldes positifs eût été, année après année, en Berne, pardon, en berne. Et l’autoglorification de nos édiles qui se dépeignent depuis plusieurs décennies comme les meilleurs administrateurs de la création se serait dégonflée comme une baudruche.
La frontière est pourtant une chance. M Borel et son successeur s’en sont finalement rendu compte et ont corrigé le tir. C’est vrai, c’est tardif, et c’est mieux comme ça.
Deux défis majeurs se présentent, qui sont l’axe obligé de toute politique municipale, mais aussi régionale. Le défit de l’urbanisation lié à celui de l’économie. Toutefois, nous ne contrôlons essentiellement que l’urbanisme. L’économique nous échappe en très large partie. Il relève de Genève presque entièrement, tant sa formidable croissance entraine sa périphérie. Et nous sommes sa périphérie, pour ne pas dire sa banlieue. En France on a du mal avec ce mot.
Sans cette croissance genevoise et son pouvoir attractif, dans le temps où l’industrie de la vallée de l’Arve s’évapore, le Genevois savoyard redeviendrait un grand jardin potager pour Genève, ce qu’il était à l’origine.
Un chiffre : les 700 000 habitants projetés de l’aire géographique transfrontalière devraient connaître une croissance de 1% l’an. Les prévisions vont même plus loin. À l’horizon 2030 ce sont 200 000 habitants supplémentaires qui seront accueillis, et 100 000 emplois créés.
Sans doute exagérés, ces chiffres sont à prendre en considération. Ils signifient d’abord qu’il va falloir loger cette population.
Et c’est là que commencent des divergences politiques entre l’équipe municipale et l’opposition. Une partie de l’opposition du moins.
L’enjeu est de savoir si on met cette croissance de ce côté-ci de la frontière, ou si on guerroie contre Genève qui avance à reculons sur cette question. À Genève le vert et les banques, à Annemasse le béton.
Je ne méconnais pas les progrès récemment faits, Genève accepterait de prendre 50 % du flux. C’est plus qu’insuffisant. M DUPESSEY et M BOREL tout en regrettant le déséquilibre expliquent que c’est mieux que rien.
C’est vrai. Mais quand on sait en plus comment fonctionne l’urbanisme à Genève, sous la surveillance du référendum, 50 % = 0.
Résistons, refusons. Comment ? Mais simplement en évitant la densification ici, c’est à dire en utilisant le levier de l’urbanisme. En ce point se dessinent précisément les divergences politiques. En gros, et bien que la ligne de partage soit moins nettement axée sur la division droite/gauche, les progressistes, d’un côté, qui confondent l’idée de progrès et celle de la croissance urbaine, claironnent qu’on ne peut échapper à la doctrine de la densification de l’urbain. C’est ce qui nous sauverait du « mitage », décrit comme un mal absolu puisqu’il compromettrait la constitution « d’espaces de respiration ». Leur discours ronronne de tous les clichés produits par les ateliers d’urbanisme, Rolinet en tête, clichés enfilés comme des perles dans la moindre publication. Lisez, vous comprendrez. De l’autre côté, on trouve des conservateurs, ceux qui pensent comme moi que moins la ville est dense, mieux ses habitants se portent, et qu’il faut donc choisir plutôt de densifier les petits bourgs et les périphéries au lieu de singer Manhattan. Une horreur sinistre, soit dit en passant. Ces conservateurs n’ont pas bonne presse, plus exactement ils n’ont pas de presse du tout. Mais écoutez vos sentiments sur cette question, et dans votre for intérieur dites-vous ce que vous choisissez. Chiche ? Les conservateurs sont les plus nombreux, en réalité, parce qu’ils sont du côté de l’humain et non de celui du délire des architectes et autres discoureurs qui JAMAIS n’habitent les monstruosités qu’ils aident à réaliser.
Résistons, refusons. Et nos voisins devront nécessairement faire un réel effort pour que la croissance urbaine se fasse principalement, car c’est le seul but qui vaille, sur leur territoire.
Car il restera à Genève une alternative, si nous résistons : sacrifier sa croissance ou l’entretenir en installant chez elle plus de population. Je vous parie que la raison des banques l’emportera facilement.
(Cet article sera repris dans le prochain JIM)