Petite explication de texte. Cette phrase au sens obscur a
été prononcée lors de la séance du 13 septembre 2011 du conseil municipal. Le
sujet était le plan local d’habitat (PLH).

 

L’oratrice rendit grâce à la sagacité des dirigeants
municipaux, au caractère visionnaire de son maire,  et rappela qu’à Annemasse, à
la différence des autres villes de l’agglomération, et de tous ces vulgaires
bourgs si remplis de ces affreux nantis, ce sont plus de 25 % de logements
sociaux qui peuvent accueillir outre toutes les misères de la terre, nos
concitoyens aux revenus plus modestes qui ne peuvent trouver à se loger.

 

Elle expliqua qu’il fallait éviter la concentration des
logements sociaux dans la seule ville d’Annemasse, et au contraire viser à une
meilleure répartition dans l’agglomération. Et dans l’attribution des logements
qu’il fallait veiller à l’équilibre. Équilibre de quoi ? Mais c’est en cet
endroit que le bât commence à blesser. Car si la ville peut décider de leur
attribution, au moins pour partie, et suivre ainsi une politique dont on ne
connaît d’ailleurs pas les ressorts, le préfet et ses préposés ont également un
pouvoir d’attribution, de sorte que se pose la question du respect de
l’équilibre sociologique, qu’ils torpillent allègrement sans même avoir l’idée
«d’exonérer partie du parc», entendez sans égard pour ledit équilibre innomé.
Vilain préfet, gentil maire, très gentil adjoint.

 

C’est dans ce contexte qu’elle prononça cette phrase d’une
obscure clarté.

 

Tout s’éclaire pourtant si on traduit la proposition
hermétique en langage plus simple : il faut attribuer les logements sociaux en
respectant les équilibres et en empêchant le préfet d’imposer des
personnes «sensibles» dans le parc de ces logements.

Qu’est-ce donc d’abord que cet optimum d’équilibre ? L’adjoint
excellent à l’urbanisme a répondu à cette question à travers plusieurs séances
du conseil. Pour lui il faut préserver un «équilibre montée par montée», il
faut concurremment «éviter la ghettoïsation», Annemasse ne doit pas aller
au-delà du pourcentage actuel de logements sociaux lesquels doivent se répartir
dans toute l’agglomération.

Et que sont ensuite les attributions «sensibles» ? En fait ce qui
est sensible c’est l’attribution à des 
personnes qui pour le coup sont elles aussi «sensibles».

 

Je partage l’opinion de l’adjoint sur la nécessaire
répartition des logements sociaux, sur son souci d’éviter les ghettos, sur sa
volonté d’éviter les déséquilibres sociaux. Je partage aussi l’idée de cette oratrice. Ce que je partage plus
difficilement c’est la langue qui l’exprime.

 

Il faut méditer sur 
cette phrase prononcée à la séance du 13 septembre. D’où sort-elle ? En
fait elle sort tout droit de la bien-pensance, du politiquement correct, de
l’autocensure. Il existe un innommable, pour le discours dominant. Ce qui ne
peut être nommé c’est l’origine des personnes «sensibles».

 

Pour l’adjoint à l’urbanisme donc, répondant à ma demande
d’éclaircissement, il s’agit de trouver des équilibres «montée par montée».
L’équilibre des montées. Une nouveauté dans le discours de gauche. Le début de
la reconnaissance de la difficulté mondaine. Le monde ne fonctionne pas comme
une idéologie. Dans l’idéologie toutes les montées sont égales, dans le monde
réel il y a les grands, les petits, les gros, les maigres, les Dunkerquois, les
Annemassiens d’origine dunkerquoise, etc. Dans le monde réel, c’est vrai qu’il
faut rechercher les équilibres entre les différents groupes de la société qui
tissent le patchwork sociétal. Alors que dans l’idéologie, il n’y a que des
camarades, des citoyens, des prolétaires, tous égaux sous le joug de l’horrible
impérialisme capitaliste américain. Que l’adjoint à l’urbanisme en vienne, lui,
à reconnaître qu’il faut rechercher un équilibre «montée par montée» en dit
long sur l’application du discours à la réalité. Poser une telle affirmation, sans détour et clairement, c’est se mettre
immédiatement à dos la ligue des conformistes. Sans compter les
journalistes dont les stylos vont s’écraser au plafond, catapultés par un
spasme de réprobation. Dans ce billet cela restera largement innomé. Je ne nommerai en conséquence
pas les concepts cachés du discours alambiqué, qui s’est encoublé dans la périphrase, la
litote, la rhétorique de contournement. Je tiens aussi à la tranquillité.

 

Mais je sais que c’est idiot. Parce que le non-dit reviendra
comme un boomerang à la face des bienpensants par la surrection politique des
extrêmes.