C’est dans le premier tract de Madame LACHENAL, candidate désignée pour succéder à Monsieur DUPESSEY à la mairie d’Annemasse, que l’on peut lire :

« Nous devons maintenant prendre le temps de nous approprier la ville et ses nouveaux usages. Annemasse a un potentiel inestimable, une diversité culturelle qui en fait sa principale richesse. »

Tout est là. En deux phrases, l’intégralité du catéchisme idéologique de la gauche contemporaine est récitée : une langue molle, autoréférentielle, saturée de bons sentiments, destinée non pas à gouverner, mais à anesthésier. Un discours qui ne décrit rien, ne tranche rien, ne décide rien — mais qui moralise tout.

Il ne s’agit plus de penser la ville, encore moins de la diriger, mais de « se l’approprier », comme si elle était un objet neutre, un espace expérimental livré à des « usages » indéterminés, toujours nouveaux, jamais évalués. Le réel disparaît derrière la novlangue.

Sans surprise, la diversité, terme choisi pour contourner celui d’immigration, est proclamée principale richesse. Une richesse si éclatante que les Genevois, pourtant à quelques minutes de là, ne se pressent pas pour s’installer à Annemasse. Quant aux Zurichois, ils brillent par leur absence totale. Cherchez l’erreur.

Le texte de ce tract, pourtant bref, aligne mécaniquement tous les clichés obligatoires du moment :

• « émancipation »
• « ville qui prend soin et protège »
• « ville à vivre durablement »
• « ville à faire ensemble »
• « services qui prennent en compte les besoins et ressources de chacun »
• « rassembler »

Cette accumulation n’est pas un hasard : elle est la signature d’un discours hors-sol, interchangeable, déterritorialisé, qui pourrait être prononcé à Annemasse comme à Saint-Denis, Grenoble ou n’importe quelle métropole en déshérence. Le lieu n’a plus d’importance, seule l’idéologie compte.

Car ce langage est le masque policé d’un fond autrement plus radical. Derrière les formules sucrées se cache une vision profondément inquiétante : une ville sans peuple politique, sans conflit, sans responsabilité, sans choix assumés. Toujours dirigée par la même équipe. Éternellement.

Dans cet alignement de poncifs, pas une fois le mot « citoyen » n’apparaît. Il est tout simplement effacé. La cité est convoquée, célébrée, invoquée — mais ses citoyens ont disparu.

La cité sans citoyens, il fallait le faire.

À leur place, on trouve des « habitants », des « acteurs économiques », des « chacun », des individus réduits à leurs besoins, à leurs fragilités, à leurs appartenances supposées. Plus de sujet politique, plus de responsabilité collective : seulement une population à gérer, à accompagner, à protéger — et à encadrer moralement.

La politique n’est plus arbitrage ni décision, mais une ingénierie des émotions sous couvert de bienveillance obligatoire. Tout est « inclusif », « durable », « apaisé » — sauf la réalité.

Et cette réalité, précisément, est soigneusement évacuée. Aucun mot sur :

• la sécurité,
• la délinquance,
• la pression foncière,
• les classes moyennes,
• la fiscalité locale,
• les travailleurs frontaliers.

Autrement dit : le réel, tout ce qui fâche, tout ce qui divise, tout ce qui oblige à choisir, donc à assumer.

Le conflit démocratique s’efface dans un récit aseptisé et infantilisant où la critique est disqualifiée, cédant la place à une idéologie doucereuse, présentée comme une évidence excluant tout débat.

Sous les pavés, il n’y a plus la plage.
Il n’y a même plus les pavés.
Il reste une surface lisse, normative, parfaitement conforme — quelque part entre la novlangue administrative et le 1984 d’Orwell, version municipale.