C’est du patois. La traduction est : roulés dans la
farine.
Nous sommes tous roulés dans la farine par nos amis et
voisins genevois. C’est d’ailleurs comme ça depuis des temps si immémoriaux que
c’est pour nous une seconde nature. À peine si quelques bons esprits tentent,
de décennie en décennie de rétablir la situation, mais rien n’y fait. Chez nous
il y a eu des guerres, des gouvernements socialistes, des syndicalistes, et
beaucoup d’autres calamités naturelles, alors on a perdu le sens des réalités. Lisons les titres d’un journal local.
Mon œil !
Là, quand on lit le titre, on se dit que nos chers (les prix
augmentent) voisins vont voir ce qu’ils vont voir. À leur place, je fuirais le
courroux de l’édile annemassien.
Bon évidemment, le titre suivant est déjà plus modéré, il n’est plus question de faire «plier», et il ne
s’agit que de taper avec ses petits poings serrés sur la table de négociation.
La voix est à peine audible, et la voie politique encore plus étroite.
En substance, mais vous lirez l’article du Messager, la menace est de ne
pas signer un futur document purement protocolaire de l’une des multiples
structures que l’on empile comme des crêpes, et qui portent des noms siglés du
genre CDDRA, etc. Le tout étant
manié à toute vitesse, et dit avec un léger air supérieur, pour que l’auditoire
se sente vite bête de ne pas savoir ce qu’est le CDDRA ou ses avatars.
Mais on s’en fout complètement. Ce ne sont que des sigles utilisés
dans la langue d’abruti des sous-technocrates de bas étage qui en pondent toute
l’année (hormis pendant leurs vacances, leurs temps libres, leurs temps de
formation, leurs 35 heures diminuées de leurs congés maladie, du quart d’heure
savoyard, des pauses café, pipi, déjeuner, j’en oublie), et qui les disent sur
un ton précieux de pitre de chef-lieu de canton. Ils causent CDDRA ces crétins.
C’est repris en cœur par les élus qui comme ça se gonflent d’importance et s’imaginent
intelligents parce qu’ils en retiennent deux ou trois, utiles à chaque réunion. C’est grotesque.
Et derrière ces fumisteries siglées, il y a en ce qui
concerne les relations entre les voisins suisses et français une réalité très
simple.
L’argent est à Genève. L’industrie de luxe est à Genève. Le commerce
de luxe est à Genève. Les services de luxe sont à Genève. Les salaires de luxe sont à Genève.
Et le Perrier est à Annemasse, en package avec la cité de la solidarité
internationale. On résume : d’un côté la croissance, de l’autre (devinez
lequel) l’empilement des constructions, des logements, de plus en plus sociaux, et il faut bien que la solidarité s’inscrive dans le « territoire » (encore
un concept vide très mode chez les techno-élus-intelligents).
Mais voilà que le maire nous vante son rôle éminent de
représentant de la région, c’est normal qu’il justifie son second râtelier,
pour faire bouger les choses, en tonnant de plus en plus doucement au fil de
son interview, contre la réalité de la situation. Eh oui, il découvre que
« les autorités » de Genève (au fait, c’est quoi une
« autorité » à Genève ?) veulent rééquilibrer l’espace. Mais que ce serait difficile parce qu’il y aurait des « recours ». En fait ce qu’il ne comprend
pas du système voisin, et ce n’est pas étonnant qu’un élu français ne le
comprenne pas, c’est que le véritable souverain n’est pas comme chez nous une caste
plouto-techno-élue-à-vie, mais le peuple. Tout simplement le peuple. Si bien
qu’on peut se tartiner de sigle, de comité, de commission de préfet, de
conseiller régional, de « contrat » de pays, de machin, de truc, chez
eux c’est le peuple qui décide. Et on peut toujours courir pour lui imposer
quoique ce soit. Or, tout le problème est qu’il faut rééquilibrer dans
l’urgence. Mais l’urgence se dilue d’abord dans le lac, dès qu’on franchit le
Foron. Il y a les recours, les référendums, et toute la machinerie institutionnelle de nos
voisins, qui en plus ont oublié d’être stupides.
Si bien que la triste réalité est qu’on est en fait
impuissant en tapant simplement avec ses petits points serrés de maire sur la
table de la négociation, parce que d’abord il n’y a rien à négocier, et que tout
se noie dans un immense conservatisme, voire l’immobilisme de nos chers amis
transfrontaliers.
Que faire ? Et bien nous révolter… gentiment, s’entend.
En tout cas, refuser la pitrerie de négociations qui n’en sont pas et de concertations de pure forme. Et refuser la fuite en avant de la sururbanisation.
Placés devant l’alternative soit de pouvoir poursuivre leur croissance en logeant
les flux migratoires sur leur territoire, soit de renoncer à la croissance faute de
place, on peut être sûr que nos très bons amis et très chers voisins, qui savent avec une précision à plusieurs décimales après le zéro où est exactement
leur intérêt, choisiront sous cette contrainte d’augmenter les surfaces de logement
chez eux. Tant qu’on leur laissera la possibilité de
poursuivre la densification chez nous et de garder la croissance économique chez eux, vous pouvez être sûr qu’ils choisiront
cette voie. Et nous continuerons d’être enfarinés, puis cuits comme des
beignets. Ce n’est pas par la négociation qu’on inversera la situation. Parce qu’on négocie avec des personnages politiques sympathiques, mais dont on ne sait jamais s’ils ont un mandat réel de négocier. C’est
par la seule résistance qu’on empêchera le massacre urbain de se poursuivre chez nous. Décrétons la guerre à la densification, et le
rééquilibrage se fera nécessairement.
Les petits poings ne servent à rien. Seule la détermination
est utile.