Soit la question du voile à Annemasse, qui n’est pas celle de la bourka qui fait la quasi-unanimité contre elle.
Ce n’est pas non plus la question du port du voile dans les enceintes laïques, l’école notamment. Ce n’est pas celle des espaces publics de contact des administrations. Le refus est toujours total.
Ce n’est évidemment pas la question des espaces privés. On a le droit le plus absolu de se mettre des plumes où on veut.
C’est la question des espaces publics, les rues, les places, les transports, etc.
D’abord se pose-t’elle cette question ? La réponse est à l’évidence oui, il suffit d’ouvrir les yeux pour remarquer qu’il n’est plus une rue, une place, à n’importe quelle heure du jour où l’on ne puisse remarquer une, deux, plusieurs femmes voilées, en tenues échappées d’autres contrées, venues d’autres tropiques, dans un contexte connaissant d’autres mœurs.
Cela étant, des citoyennes françaises, car le plus souvent ce sont bien des citoyennes, depuis quelques années se mettent au port du voile, et au reste du costume.
Et beaucoup des Annemassiens âgés, ceux qui ne sont pas de confession musulmane, et de beaucoup de leurs contemporains moins âgés, sont profondément choqués. Profondément, je le souligne. Discutez, sondez, posez les questions, dépassez la fuite, dépassez la novlangue ou sa sœur la langue de bois, analysez les réponses, et vous le relèverez, immanquablement. C’est même un traumatisme. Alors pourquoi ce traumatise ? Après tout, il ne pourrait s’agir que d’une question de mode, de costume, de goût ou de couleur, de quelque chose de totalement banal. Mais à l’évidence, ce n’est pas cela. C’est un signe confessionnel, fort. Une marque distinctive une revendication, une affiche. Comme le costume d’une sœur chrétienne. Comme le costume d’un moine. Mais ces costumes-là ne choquent pas, ils sont traditionnels, et surtout ultra minoritaires. Alors pourquoi le voile islamique choque-t’il ?
Parce qu’il est islamique.
Parce qu’il manifeste aux yeux des Annemassiens choqués, un statut de la femme, une relation entre les sexes qu’ils rejettent à l’extrême. Parce que le sentiment qui s’évince de la situation nouvelle est que la société a brutalement changé. Et cela fait peur. Et d’imaginer alors le sort du Liban. Au Liban en 1932 et jusque dans les années 50, les chrétiens étaient majoritaires dans une proportion de 60 % pour les chrétiens à 40 % pour les Libanais de confession musulmane. En 2005 les proportions sont plus qu’inversées, 65 % à 35 %. La dégringolade continue. La Syrie voisine n’est pas plus rassurante. Dans la même période, les chrétiens sont passés de 13 % à 0, ou presque. Si bien qu’il est possible de s’interroger sur la possibilité même de l’existence d’une minorité chrétienne en pays d’Islam. On sait le sort des Coptes en Égypte. Et ces questions interpellent. Ne pas les traiter a pour résultat d’augmenter la peur. Ceux que le spectacle de cette rue qu’ils ne reconnaissent plus alarme, les mêmes qui disent aussi qu’on ne leur a jamais demandé leur avis sur ces questions, qui se pensent submergés par une vague qui leur paraît venue d’ailleurs, ceux-là ont peur.
Derrière la peur, la radicalisation, et au-delà l’abîme. C’est une machine infernale qui pourrait se développer sous nos yeux. Nous avons un devoir : chercher l’harmonie et non le conflit. La méthode existe : la méthode républicaine et laïque. Il faut en conséquence, chercher à convaincre, plutôt qu’à vaincre. Convaincre nos concitoyens de confession musulmane de ce que l’ostentation du signe religieux est contraire à une société laïque. Mais aussi leur dire qu’il y a place pour toutes les religions, dans la sphère privée, mais pour aucune dans la sphère publique. Que la paix est à ce prix. Et que rien ne peut se bâtir sans la paix.
Est-ce trop demander à nos concitoyens musulmans ? Ce n’est pas le problème. Le problème est celui de la survie de notre patrimoine social, avec ses us et ses coutumes. Avec ses avantages et ses inconvénients. La survie du modèle républicain, laïque, qui à notre échelle d’individu s’apparente à l’éternité. Et puis c’est le nôtre et il n’y a aucune raison de l’abandonner. Et le voile avec son cortège de sujétions est comme un coup porté à son image. Les républicains ne doivent pas l’accepter. L’affirmer est peut être un risque politique, à l’heure de l’abandon. Mais c’est un risque à prendre.