La peinture abstraite, il n’y a pas qu’à la villa du Parc qu’on la rencontre. Au détour du dernier conseil municipal du 26 mars 2013, le beau discours de M Becquet sur l’état des finances locales et les perspectives de son évolution pour le futur proche, était formidablement poétique. Tous les chiffres s’enchaînaient dans une présentation lisse des finances annemassiennes, éclairée par les tableaux projetés sur l’écran surmontant l’orateur, réminiscence de la lumière bleutée descendue des vitraux de la Sainte Chapelle. Tout allait bien dans la meilleure gestion du monde. Le budget était en équilibre, le bougre, pas la plus petite ombre de déficit structurel, un recours à l’emprunt modéré, une autosatisfaction qui n’avait d’égale que la marge d’autofinancement. C’était à peine si les dépenses de fonctionnement augmentaient de plus d’un point au-dessus de l’inflation, tout comme le poste principal (plus de 22 millions d’euros) des charges de personnels. Un rien. Seul l’esprit chagrin de François Vigny trouvait à y redire. Les conseillers de la majorité communiaient dans un silence respectueux avec le ministre du Culte de Mammon le maudit. Impossible même de critiquer sa cécité au monde. En introduction, juste après une citation bien sentie d’Alain sur la relation entre l’optimisme et la volonté, opposé au pessimisme fils incestueux de l’humeur, il prenait soin de décrire l’effondrement de l’occident avec les accents prophétiques de l’apocalypse selon Jean. (Je sais, j’exagère).  Louis Mermet devait d’ailleurs le féliciter de prendre enfin conscience de la réalité.

Il reste un point avoué par le maire et son ministre, d’une extrême importance politique. Comme les sous de l’État (la dotation générale de fonctionnement) vont fondre dans les prochaines années, et qu’il leur paraît, heureusement, difficile d’augmenter les impôts, qu’il leur paraît tout aussi délicat de diminuer les dépenses, surtout dans les contextes électoraux à venir, il ne leur reste qu’une seule solution pour boucler les futurs budgets : réduire l’autofinancement, c’est à dire l’investissement. Cela a été dit expressément.

L’aveu est de taille. Il signe la fin d’un certain discours.

Ce n’est pas l’excellence de sa gestion qui permettait et permet encore à l’équipe majoritaire qui gère la ville depuis trente ans, à la fois d’investir et de dépenser beaucoup dans tous les domaines. Non c’est plus simple. C’est l’opulence des finances qui résulte simplement de recettes supplémentaires, supérieures à 25 % de la totalité des recettes courantes : les fonds frontaliers et le casino.

Et une autre vérité éclate. La part d’autofinancement, qui est l’excédent des recettes sur les dépenses courantes, et qui sert à investir, diminue au fil des ans en proportion. Cette part représente aujourd’hui en gros un dixième du total du budget. Or, elle devrait en représenter le quart. Elle devrait, dans une rigoureuse gestion, être égale au montant des recettes exceptionnelles que sont les fonds frontaliers et le produit des taxes sur le casino.

Au lieu de cela, c’est une part moindre, moitié moindre qui est consacrée à  l’autofinancement, et donc à l’investissement.

Ce qui signifie clairement que la gestion n’est pas aussi rigoureuse qu’elle le prétend. Les chapitres des dépenses dans le budget sont atteints d’obésité à Annemasse. Mais cela reste dans l’ombre. Sous les projecteurs il y a une apparence de bonne gestion, manifestée par la marge d’autofinancement qui se transforme en investissement. On investit et on dépense. Mais en fait on dépense beaucoup et on investit peu en proportion compte tenu des 12 millions d’euros supplémentaires apportés par des recettes exceptionnelles, dont aucune ville comparable ne dispose. Les chiffres présentés annuellement par l’équipe majoritaire sont beaux comme une peinture abstraite. Il faudrait simplement un peu plus de réalisme.