C’est un lieu commun souvent repris par les élus français voisins de nos amis les Helvètes, que la région dans laquelle ils s’incluent, serait déséquilibrée. D’un côté un centre urbain à dimension planétaire, de l’autre des banlieues-dortoirs. Comment donc trouver un équilibre entre ces deux planètes ? Et d’abord, avant même de répondre à cette question il en est une autre, celle de savoir si c’est vraiment nécessaire de «rééquilibrer» les lilliputiens pour qu’ils puissent se hisser à hauteur de la majestueuse citée lémanique ? Après tout on pourrait très bien imaginer que les destins très différents de ces deux univers qui sont en contact moins que Manhattan ne l’est avec Newark, et surtout à travers les flux pendulaires de la population active frontalière, restent divergents et ne se rejoignent jamais, sans même évoquer une égalisation fantomatique. Parce qu’il ne faut rien exagérer de l’imbrication des deux mondes. En réalité ils sont bien distincts. Il y a des États différents, des administrations différentes, des populations hétérogènes. Leurs lois sont différentes, même si elles sont cousines, leurs systèmes judiciaires ne communiquent que peu. La coopération policière la plus basique a mis des siècles à se réaliser, et s’il y a moins de douaniers sur la ligne de démarcation elle continue d’exister au plus profond des consciences.

Hétérogènes l’un envers l’autre les deux espaces sont dans une relation forcée, qui au fil des ans est devenue insupportable pour partie de l’opinion en tous cas en Suisse. La relation est certes nécessaire, mais dans le passé il y a eu des situations dans lesquelles elle s’était interrompue. Pendant la dernière guerre par exemple. Genève n’en est pas morte. Alors qu’aujourd’hui ce serait sans doute plus difficile, mais pas impossible non plus. Ce serait un désastre économique côté haut-Savoyard, mais probablement pas un séisme de même magnitude du côté de Genève qui saurait immédiatement faire face à la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs en important des armées entières de l’Europe de l’Est. Le souci temporaire serait le logement, mais on peut être sûr que si son économie était en péril, Genève saurait dans les 24 heures trouver la solution pour construire chez elle.

Le bilatéralisme est une douce illusion. C’est surtout flatteur pour nous, mais cela ne l’est pas autant pour nos voisins. Vous ne lisez jamais dans leurs journaux qu’ils sont fiers de ce qu’il y a de l’autre côté de leur frontière. Le regard est souvent au mieux indifférent. Autant nous en faire une raison, mais surtout, autant nous débarrasser de nos illusions, et cesser de culpabiliser si nous ne faisons pas assez d’efforts. On pourrait même penser qu’il serait préférable de n’en faire aucun. Continuons de vivre notre vie de banlieusards, paisiblement, sans attente démesurée d’un avenir qui ne sera pas forcément radieux. Nous représentons une facilité pour Genève qui n’a pas à loger chez elle partie de ses employés. Les verrues esthétiques sont ici, le jardin et les banques restent de l’autre côté. C’est sous ce rapport minimal qu’il vaut mieux comprendre la relation. Et il est sûr que nous ne sommes pas perdants. Le jeu au total fait gagner les deux partenaires c’est pourquoi il est de leur intérêt bien compris de le continuer, mais en réduisant l’ampleur des rodomontades. Soyons réalistes, ne demandons surtout pas l’impossible, le beurre et le sourire de la célèbre crémière, les fonds frontaliers et la considération. Les fonds on peut les compter, la considération on pourrait seulement l’escompter, et encore, si cela avait une quelconque importance.