Si j’ai publié les commentaires qui me sont parvenus à la suite de l’article rédigé sur la mosquée d’Annemasse, c’est parce que je crois au débat démocratique, et qu’en conséquence les opinions même les plus extrêmes doivent pouvoir s’exprimer.

La loi du 29 juillet 1881 incrimine les diffamations et les injures racistes (L. 29 juill. 1881, art. 32, al. 2 et 33, al. 3, 29, al. 2), ainsi que les propos incitants à la discrimination, à la haine, ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un autre groupe de personnes « à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » (L. 29 juill. 1881, art. 32, al. 2 et 33, al. 3 ; par exemple dans l’affaire dite « Dieudonné » : Cass. ass. plén., 16 févr. 2007, n° 06-81.785 P B+R+I : JurisData n° 037340 ; JCP G 2007, II, 10047 ; Bull. ass. plén. 2007, n° 1). La loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 a modifié les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 en étendant ces infractions aux propos. La Cour de cassation apporte des nuances et de la souplesse dans son interprétation, mais bien entendu maintient l’esprit de la loi. (Cass. crim., 12 nov. 2008, n° 07-83.398 F PF, V : JurisData n° 2008-045868, s’agissant de propos homophobes).

C’est donc dans ce contexte que se situe l’appréciation que je fais des limites du débat démocratique et que j’ai exercé la plus légère des censures. J’ai laissé passer des commentaires violents, que je réfute personnellement, mais que je crois utiles pour montrer les limites de la critique faite à l’esprit de laïcité, et je les tolère par l’unique souci du nécessaire débat démocratique.

Je puis me tromper, mais je crois fondamentalement que la critique même vive d’une religion doit toujours rester possible. L’affaire des caricatures est sur ce plan exemplaire. Je maintiens ce cap, mais je suis vivement pris à partie.

Ainsi l’auteur d’un commentaire écrit que je suis un traitre. Plus loin il se fait menaçant. (Comme tous les gens courageux, il ne signe pas de son nom, il préfère l’anonymat, c’est le type humain qui dénonçait son voisin -forcément juif- pendant la guerre). Il est dans l’injure à mon égard, mais sur le fond il avance un argument qu’il faut analyser : « Or, ce que vous avez fait est illégal, vous vendez un terrain pour une association musulmane en vue d’y construire une mosquée. Par conséquent vous enfreignez la loi de 1905 qui stipule dans son article 2 que l’état ne reconnaît ni ne subventionne les religions. Ici, vous reconnaissez une religion, par conséquent vous n’êtes pas autorisé à statuer sur la vente d’un terrain au profit d’une association religieuse. Vous êtes donc anti-républicain car vous ne respectez pas les lois de cette république».

Pour le résumer, il s’agit de savoir si le fait d’avoir vendu le terrain de la commune pour l’édification d’une mosquée est critiquable. La réponse est non. Mais si l’on pousse l’argument il s’agit alors de savoir si le fait d’avoir vendu le terrain à un prix inférieur à l’avis des domaines peut constituer une subvention prohibée.

Il y a un exemple en jurisprudence. La ville de Tours avait vendu pour un prix très inférieur à la valeur du marché et à l’estimation des domaines, un terrain destiné à l’édification d’une mosquée. L’association Libre Pensée avait contesté cette décision. La cour administrative d’appel d’Orléans annulait la décision :

« Considérant, en second lieu, qu’il est constant et d’ailleurs non contesté que le terrain dont la délibération attaquée autorise la vente par la commune de Tours était alors estimé à une valeur de 476 000 F (72 565,73 euros) par le service des domaines ; qu’en décidant de le céder pour un prix de 50 000 F (7 622,45 euros) à la société des Habous et lieux saints de l’Islam, le conseil municipal de Tours doit être regardé comme ayant consenti une subvention déguisée à ladite société ; qu’une telle subvention est prohibée par l’article 2 précité de la loi du 9 décembre 1905 qui, nonobstant le principe de libre administration des collectivités territoriales, est applicable au cas considéré ;

• Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la Fédération d’Indre-et-Loire de la libre pensée est fondée à demander l’annulation de la délibération attaquée ; (…)»

Cette censure est claire, même si dans la réalité un contournement de la loi de 1905 reste possible, ce qui est regrettable. Toutefois il doit être observé que dans l’espèce soumise au juge d’Orléans un écart considérable séparait le prix de vente de la valeur du terrain et de l’avis des domaines. Ce qui n’est pas le cas de la vente annemassienne.

Mais nul doute que des recours seront introduits. Nous verrons ce que répondront les juges grenoblois et lyonnais. L’argument agressivement déployé sera probablement écarté. Il était en tout cas inutile de l’insérer dans du venin pour le faire entendre.

Il restera un principe intangible : celui de la liberté du culte. Et son corolaire celui de la dignité dans l’exercice du culte. Dignité qui doit pouvoir s’habiller de la pierre d’un édifice.

La violence des critiques qui se sont faites à ces principes s’explique en fait par une confusion simple. Celle de deux questions qui sont en partie distinctes : la question de la liberté religieuse, et la question de la transformation de la société française par une immigration massive qui importe son être religieux et change brutalement le paysage.

Le Souverain ne s’est jamais prononcé sur l’immigration. Il s’est déjà prononcé à plusieurs reprises sur la liberté religieuse. En bonne logique démocratique, le peuple devrait trancher la question de l’immigration et de ses conséquences.