Tout avait commencé délicieusement dans la torpeur de la présentation lénifiante du budget 2010, plusieurs conseillers de la majorité dormaient déjà profondément tandis que d’autres avaient les yeux rivés sur les écrans de leurs télévisions-ordinateurs. Seules les vigilantes troupes de l’opposition restaient attentives, le front plissé, le stylo tiré, les oreilles aux aguets.

M VIGNY ouvrit le feu sur le budget, lui reprochant son manque d’imagination, sa frilosité sur le financement des investissements qu’il expliqua préférer voir soutenus par des emprunts plutôt que par l’autofinancement.

Ce qui n’est pas exactement ma philosophie, quoique je comprenne cette position. Je suis plus pingre que ça en matière de dépenses publiques. Et justement dans ce registre je relevais que les frais de fonctionnement continuaient de croître, entrainés par les charges de personnel qui connaissent une hausse supérieure à 3,40 %, dans un contexte national sans quasiment d’inflation. Un million d’euros en plus, ce n’est pas rien.

Heureusement qu’il existe en compensation une hausse temporaire des Dotations d’une part, et des fonds frontaliers de l’autre. Cela nous donne l’illusion de l’équilibre alors que la réalité est celle d’un déséquilibre progressif, puisque depuis des décennies les charges de personnel continuent, quoiqu’il arrive, de progresser.

Annemasse reste une commune riche, dans un contexte régional privilégié. Si les fonds frontaliers progressent, c’est parce que l’économie genevoise poursuit sa croissance. Un millier de cartes de frontaliers en plus au cours de l’année 2009, et l’année 2010 s’annonce bien. Nous sommes sauvés par le gong, et pourvou que ça doure !

Puis l’ordre du jour poursuivit son épuisement en même temps que le nôtre, et même mes partenaires de l’opposition umpéiste ronflaient comme des sonneurs, lorsque le réveil se fit en fanfare.

Une question était tapie au fond de l’ordre du jour. J’y avais à peine prêté attention, mais mon voisin Louis Mermet l’attendait au tournant parce qu’elle le concernait directement.

Il faut se souvenir qu’en début de mandature j’avais proposé au maire un accord pour que l’opposition puisse participer à quelques délégations. Il était prévu qu’il y ait une concertation au sein des délégations, puis une approche commune au sein des organes concernés, comme l’agglomération par exemple. L’effort de la majorité était minime, 1 délégué de l’opposition sur 17 pour elle.

Louis Mermet qui était alors sur la liste « Pour Annemasse » fut élu dans ces circonstances et il me revint sa suppléance. Rapidement je me sentis en porte à faux dans ce contexte et je me retirais, laissant ma place à un membre de la liste Vigny. Puis Louis Mermet choisit de quitter la liste « Pour Annemasse » sur laquelle il avait été élu, et de rejoindre celle de M Vigny, ce que je persiste à trouver parfaitement condamnable dans la mesure où nul élu n’est jamais propriétaire de ses électeurs et doit respecter leur mandat. Mais ce n’est pas sur ce point que les difficultés sont survenues.

Il apparut très vite que la concertation préalable aux séances des organes délibérants était inexistante. Ou plutôt elle n’a existé que pour les membres de la majorité, ceux de la minorité étant tenus à l’écart.

En décembre 2009 l’agglomération tint séance et il s’agissait d’élire des délégués à l’ARC, cet organisme régional. Un candidat était présenté par la délégation annemassienne. Louis Mermet, jurant de n’en avoir pas été informé présenta malicieusement sa candidature et fut élu par de nombreux délégués, aidé en cela par son appartenance à l’UMP. M Bouchet, l’adjoint à l’urbanisme fut battu. Gros émoi. Le maire cria à la trahison.

Arrive alors la séance du conseil municipal du jeudi 25 mars 2010. Entre temps, ça tombait bien, la population d’Annemasse passait au-dessus de 30 000 habitants et la délégation à l’agglomération pouvait compter 19 délégués au lieu de 18. Un autre bonheur était que la loi permettait de procéder à une réélection générale des délégués.

Si bien que la délégation de Louis Mermet pouvait ainsi passer à la trappe. Adieu, veaux, vaches, cochons, couvées, ARC, ambition, région, nation. Tout foutait le camp. C’est pourquoi Louis Mermet avait soigneusement préparé une intervention.

M Dupessey expliqua à quel point Louis Mermet était un vil faquin (j’exagère un peu, mais on a si rarement l’occasion d’écrire faquin), requit qu’il fût fouetté en place de Grève, et à ma grande surprise, au lieu de signer son éviction, proposa que la majorité votât pour 18 de ses membres comme délégués, laissant à la minorité le soin d’élire un délégué.

Un vote par collèges séparés : d’un côté la majorité de l’autre la minorité. Le délicat était l’organisation du vote.

Louis Mermet, répondit pied à pied, expliqua qu’il fallait détruire Carthage, et je partage totalement sa philippique.

Il fut procédé à quatre votes, deux pour les délégués titulaires, deux pour les suppléants. Louis Mermet fut triomphalement réélu par une très forte majorité de la minorité tandis que la majorité faisait dans son coin ses petites affaires et avec une faible minorité élisait une majorité, à moins que ce ne soit l’inverse. D’accord, le score est de 1 à 18, mais on remonte…

Cette remarquable avancée de la démocratie(*) méritait d’être encore mieux saluée que je ne le fis, car elle balaye au fond l’exigence de la concertation entre les délégués de la minorité et ceux de la majorité. Carcan insupportable. Bravo. Désormais libérés ils pourront exercer leur vote sans aucune contrainte. C’est mieux que le Crazy Horse, le conseil municipal.

(*) Mise au point. Un grand esprit de notre conseil toussa en entendant cette proposition. Il n’avait pas complètement tort. Le sentiment démocratique tombe bien bas lorsqu’un vote par collèges séparés paraît constituer une avancée. La Révolution Française crie son indignation : le vote par collèges séparés, cf la noblesse, le clergé, le tiers état, était justement ce qui avait été rejeté pour inaugurer l’Assemblée nationale. Mais la présente régression annemassienne constitue un progrès pour la minorité.